tonton

d'inspiration glabouniste...

Lundi 1er février 2010 à 0:46

Pour ceux qui ne me connaissent pas, je m'appelle 87.3.214.45. Nous sommes tellement nombreux qu'il est plus facile de nous nommer par nos numéros matricule que par nos vrais noms. Au sein de l'administration dans laquelle je suis incarcéré, je cohabite avec plus de 300 détenus. Comme eux j'ai pris perpétuité, pour comportement social abusif.

Nos mâtons nous observent comme des fourmis et nous surveillent depuis leur tours, d'où soufflent des ventilateurs puissants. A travers des écrans plasma et des hauts-parleurs, ils nous dictent ce qu'on doit faire. Pire, ils nous disent ce à quoi on doit penser. C'est un moyen très efficace de contourner l'impossibilité (de par notre nombre) de nous dire comment penser.

Nous sommes tous depuis longtemps résignés, car nous avons compris que désobéir est sanctionné par un isolement total bien plus insupportable. En effet, si nous survivons, c'est grâce aux liens qui nous unissent, mes co-détenus et moi-même. Même si nous savons que c'est dans l'intérêt de notre administration de maintenir et d'entretenir ces liens. Peu à peu nous perdons toute faculté de jugement, d'humanité et de raison, manipulés par la pseudo-réalité que nous donne à voir l'administration. Nous devenons tous les éléments simples de ce système, dont nous dépendons complètement et que nous alimentons malgré nous. Le peu de conscience qu'il nous reste nous permet de nous approprier notre prison, mais pas de nous en évader.

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Ma prison n'a ni murs, ni armes. Elle est équipée de hautes technologies, grâce auxquelles elle peut s'affranchir de "barbelés" traditionnels. Ma prison n'a pas de barreaux, mais des touches qui déclenchent des signaux d'alerte au moindre contact de nos doigts. Ma prison n'a pas de cellules individuelles, mais chacune de nos chambres est constituée de centaines de cellules photoéletriques qui nous hypnotisent : les pixels. Dans ma prison, il n'y a pas de rats, ils ont été chassés par une souris, que j'ai d'ailleurs apprivoisé. Je l'ai appelée "Clic" à cause des petits cris qu'elle pousse quand je la caresse de mon index. Je passe la plupart de mon temps à essayer d'accéder au monde extérieur, que je peux regarder à travers la fenêtre de ma chambre, la "Windows". Mais la réalité m'est perçue à travers des filtres, des écrans. Ce que je vois de l'extérieur, et que je ne peux voir que depuis ma fenêtre, c'est une vision pré-établie. Tout est fait pour me persuader que tout est figé, que rien n'évolue. Les images que l'on m'offre sont toujours des images choc, qui agissent plus sur mes émotions que sur ma raison. La violence, le feu, la faim... Le monde extérieur semble être aussi insécuritaire que ma prison. Sans doute pour ne pas m'inciter à en sortir. Depuis la nuit des temps, l'Afrique meurt de faim et les USA vivent dans l'opulence. Le monde est figé. Je suis moi-même figé, dans ma prison, contraint à effectuer tous les jours les mêmes gestes, les mêmes actions, sans réflexion.

Quelquefois, j'ai des visites au parloir. Mon parloir s'appelle Facebook ou MSN. C'est un parloir spécial, où on se parle entre co-détenus, quelquefois de la même prison, quelquefois de prisons plus éloignées. Tout est fait pour que nous restions entre nous. L'interculturalité est bannie, car nous sommes jugés dangereux par les gens libres, que l'on risque de corrompre. Et vice-versa. C'est parce que nous avons un comportement social abusif que nous sommes emprisonnés. L'administration a donc décidé de nous enfermer dans un type de comportement social qu'elle peut contrôler, un système fermé ou nous n'interagissons qu'entre prisonniers.

http://tonton.cowblog.fr/images/prison300x200.pngLe quotidien est dur à vivre. Pour lutter contre l'ennui, je ne peux plus m'évader à faire du sport, de la musique ou autres dérivatifs réels. Avant je le pouvais, mais je n'avais pas encore commis assez de crimes de no-life dans mon esprit. Maintenant je suis attaché, dévitalisé, incapable ne serait-ce que de détourner le regard des pixels hypnotiseurs. Si je tente de m'enfuir par le divertissement réel, l'ordre des mâtons sifflent aussitôt et m'impose de répondre à tel stimuli, tel ou tel message, à aller voir ce qui se passe à travers la "Windows" pour m'hypnotiser de nouveau.
Du coup l'administration, pour éviter les suicides en prison, qui tarissent son image, a prévu quelques dérivatifs : des divertissements virtuels personnalisés. Pour revenir aux suicides, il y en a eu. Un programme d'hypnose nommé WOW a fait mourir une dizaine de bébés, dont les parents trop prisonniers, ont préféré sacrifier la vie d' êtres nécessiteux d'éléments réels pour assouvir leurs besoins d'éléments virtuels.
Mon dérivatif personnel s'appelle Inkball. Le principe est simple, un jeu abrutissant qui n'apprend rien et dont le but n'est que de battre son propre record, en matière d'adresse virtuelle, d'appropriation de ma prison.

J'ai un autre dérivatif, plus secret. Ce n'est pas l'administration qui me l'a fourni, mais c'est elle qui l'entretient. Mon dérivatif est une image, féminine, très jolie. Ce n'en est pas moins une image. Il y a d'abord l'image physique, déformée par le format qu'impose un fond d'écran. Puis il y a l'image sensorielle mais virtuelle, à travers le parloir MSN. Tous les messages échangés sont modifiés, et ne donnent à voir que la partie virtuelle de la pensée. Je peux partir dans des tripps virtuels, rien ne se retrouvera dans la réalité, car ma prison crée un monde à part entière, qui n'est pas comparable avec le monde réel, qui n'a aucun lien avec le monde réel. En plus, l'image physique ne correspond même pas à la même personne réelle que l'image sensorielle. Mais ça, l'administration de ma prison n'y attache aucune importance.

A quand le premier accouplement virtuel ? Il risque de changer la face du monde, et sera beaucoup moins innocent que l'annonce d'un récent mariage réel en direct via facebook. Ami prisonnier, co-détenu toi aussi de l'administration numérique, si toi aussi tu te sens impuissant face au pouvoir de cette prison, si toi aussi tu regardes passer le monde réel sans en faire partie, bienvenue dans mon monde. Toi aussi, tu es atteint du syndrome de l'ordinatueur. Bienvenue dans le Web 2.0.

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