Une formation peu encadrante et mal organisée
« Pour mon stage, la DRH m’a demandé si je savais faire un plan de comm. Je lui ai dit que non, mais que je pouvais lui décrire ce qu’était le paradigme interactionniste, ça n’a pas eu l’air de l’emballer », raconte Jérémy, étudiant en L3 entre deux cours. Comme lui, d’autres « Isiciens » se sentent un peu perdus et ont du mal à positiver, comme Besma, qui ne peut s’empêcher de relater les difficultés qu’elle ressent à travailler malgré le peu d’heures de cours. Le ton du discours est le même pour celles et ceux qui, issus de filières BTS ou DUT, viennent de rejoindre la formation en L3. « Sur votre forum étudiant, je ne comprenais pas pourquoi vous dénigriez autant votre fac. Maintenant j’ai compris ! », ironise une étudiante, en ajoutant : « Il y a beaucoup trop de théorique et on ne sait pas trop à quoi ça peut servir ». Si le malaise est largement reconnu par les étudiants en licence, il l’est beaucoup moins en master, heureusement. Il n’en est pas moins réel.
Peut-on alors parler de déprime créée par une université, au regard de certains comportements observés tels que l’isolement, le manquement aux cours, la perte de confiance en soi et un certain rythme de vie décousu ?
Quand les chiffres parlent, le silence s’en suit…
L'Union Nationale des Sociétés Etudiantes Mutualistes régionales (USEM) a confirmé au cours de sa dernière enquête, la mauvaise santé mentale des étudiants. 32 % d’entre eux déclarent avoir été tristes, déprimés et sans espoir sur une période d’au moins deux semaines au cours des 12 derniers mois écoulés. 35 % des étudiants sondés, âgés de 22 ans en moyenne, ressentent une perte de confiance. Plus grave encore, 9 % déclarent avoir eu des pensées suicidaires et 10 % des étudiants ont consommé des antidépresseurs ou tranquillisants au cours dans l’année.
Le malaise étudiant semble ainsi s’immiscer dans la vie de toute une génération de futurs salariés. Et la vague de dépression contamine chaque année plus de cas. Pourtant, le sujet reste assez peu évoqué, et aujourd’hui la prévention reste résolument tournée vers la grippe, les rapports sexuels à risque ou les conduites addictives. Pour quelles raisons ? D’abord parce que la mauvaise santé mentale, dès lors qu’elle ne tombe pas dans la dépression nerveuse, n’est pas aussi dangereuse et coûteuse que d’autres maux. Ensuite, parce que la santé mentale des étudiants est difficile à mesurer, et encore plus à soigner. Les chiffres constituent ainsi une fin en soi qui ne justifie pas le déploiement de moyens supplémentaires. Les étudiants vont mal. C’est un fait. Et alors ?
Les causes du mal-être étudiant
Pour Nicolas Dion, président de l’USEM, « l'isolement et le sentiment de solitude ou le stress, qui touche un étudiant sur trois, arrivent très loin devant les autres difficultés ressenties liées à l’orientation ou les conditions financières ».
Le stress des étudiants n’est pas comparable à la pression ponctuelle ressentie lors des examens ou de l’accomplissement d’un travail précis. Il est d’ordre existentiel. « Les étudiants ont le sentiment que les choix qu'ils opèrent sont cruciaux et définitifs et que s'ils se trompent, c'est toute leur vie qu'ils ratent », analyse Nicolas Dion. Il s’agit donc d’un mélange d'angoisse et de blues dû à la question de l'avenir et de la réussite.
A la peur de ne pas trouver sa voie s’ajoutent des responsabilités plus lourdes à assumer (logement, travail à temps partiel, examens). Le manque d'organisation individuelle pour faire face à ces nouveaux défis peut faire naître chez les étudiants la sensation de ne plus arriver à contrôler leur vie et de devoir faire face à une sorte de chaos ingérable. Le sentiment d’isolement vient alors, puisque la plupart d’entre eux sont loin de leurs repères familiaux et du système scolaire encadrant qu’ils avaient au lycée.
Ensuite, de nombreux étudiants ont le sentiment de ne pas être à la hauteur dans leur parcours professionnel. Pour combler cette angoisse, ils accentuent un rythme de vie irrégulier. L’abus de fêtes et de révisions tardives perturbe leur sommeil. Ainsi, 28,9% des étudiants qui présentent un signe de dépression ont des troubles du sommeil. Les mauvaises habitudes alimentaires, le manque d’exercice physique et la consommation de drogue et/ou d'alcool peuvent conduire les étudiants à la dépression. 20% des étudiants tristes ou déprimés ont une importante consommation d'alcool, soit 10 % de plus que pour les autres. Il en est de même pour la consommation de cannabis, qui atteint 15 % chez les jeunes qui ont le moral dans les chaussettes.
Les sciences humaines et sociales plus exposées
Des étudiants en 3ème année de sociologie à Bordeaux II ont travaillé sur la question de la déprime estudiantine. Ils affirment que les filières littéraires, artistiques et de sciences humaines et sociales sont plus exposées que les autres. Ils expliquent ce phénomène par trois raisons. Premièrement, ces disciplines sont moins valorisées que les filières scientifiques. Le gouvernement n’accorde que peu de crédit à la philosophie et l’histoire. Ces mêmes filières rencontrent des difficultés similaires sur le marché de l’emploi, ce qui accentue le sentiment d’inutilité des étudiants.
La deuxième raison est logistique. Les étudiants en science humaine et sociale ont généralement moins d’heure de travail, et ont donc plus de temps libre pour penser et cogiter sur leur situation. De plus, ils peuvent être confrontés à un certain ennui qui les ronge, faisant naître un sentiment d’infériorité par rapport à leurs comparses des autres filières.
Enfin, ces domaines d’études forment les étudiants à s’interroger davantage que les autres sur leur condition, sur leur place dans la société et sur leur compréhension du monde. Mathieu, un des étudiants interrogé illustre son propos : « Si un prof demande d’apprendre une encyclopédie par cœur, les sociologues demanderont pourquoi, alors que les scientifiques demanderont si c’est à apprendre pour demain ? »